Boris Taslitzky, l’enfer (sur terre) en peinture
- Eric Valenne
- 22 nov.
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 26 nov.
« Une vie marquée par la guerre ». C’est ainsi que Boris Taslitzky a qualifié la sienne. Un engagement permanent pour témoigner des atrocités de son (ou toutes?) époque.
L'expo qui avait lieu à la Piscine est terminée mais vous pouvez la revivre grâce à cette petite vidéo. Cliquez ici https://youtu.be/af808H1YYGk
ou sur la vignette
Né en 1911 de parents juifs exilés de Russie, l’artiste a vite été confronté aux horreurs du vingtième siècle. A quatre ans à peine, il perdait son père, engagé volontaire, tué dans les tranchées de la Grande Guerre. Quelques décennies plus tard, sa mère mourra à Auschwitz. Entre les deux, son destin se révèle et sera la peinture « réaliste à contenu social » qui se poursuivra jusqu’à sa mort en 2005.
Pupille de la nation et encouragé par sa mère, le futur artiste courra le Louvre dès son adolescence où il copiera les grands maîtres. En 1928, l'École des beaux-arts de Paris l’accueillera puis il deviendra membre en 1933 de l’Association des Écrivains et Artistes révolutionnaires. En 1935 il adhèrera au Parti communiste français. Armé de ses pinceaux, Igor Taslitzky va braver la vie avec ses outils d’artiste qui lui serviront de boucliers, d’armes et d’étendards.
Le peintre qui se qualifiait de « romantique révolutionnaire » puisait son inspiration dans la peinture historique (Géricault, Delacroix, Courbet, Daumier, David, Goya…) et a décidé d’œuvrer et de peindre un « Réalisme à contenu social ». Et dans le tourbillon des années qui vont suivre, il va être servi : guerre d’Espagne, Front populaire, grandes grèves… Et puis la seconde guerre mondiale... Mobilisé et incarcéré en 1940 avant de rentrer dans la résistance et de se retrouver à la prison de Riom en 1941 (avec 33 communistes et 600 prisonniers de droit commun) il sera déporté à Buchenwald. Pendant ce temps, sa mère vénérée sera arrêtée lors de la sinistre rafle du Vélodrome d’Hiver en 1942 avant d’être assassinée à Auschwitz.
A Buchenwald, Boris Taslitzky réalisera des centaines de dessins. Il ironisera : « Si je vais en enfer, j’y ferai des croquis ! D’ailleurs, j’ai l’expérience, j’y suis allé, et j’ai dessiné !». Cette terrible épreuve l’a davantage impliqué à témoigner, encore et encore, par la peinture ou le dessin, de tous les grands tourments vécus par lui. Jusqu’à sa mort en 2005, sa peinture à vocation sociale et historique aura donc souvent les couleurs du sang et des larmes. A la fois spectateur, acteur et victime des horreurs de son époque, il se devait de témoigner en tant qu’être humain et artiste. Un écrivain les aurait couchées sur le papier ; un musicien les aurait mises en musique. Lui, il les a peintes. Avec du papier et des crayons cachés au risque de sa vie à Buchenwald, puis avec des pinceaux et des toiles souvent de grand format. Après la guerre, la lutte se poursuivra avec notamment des affiches anti coloniales arrachées par la police parisienne car trop subversives ou ses peintures (La Riposte) décrochées des expositions car non républicaines. Il fera également des voyages incognito en Algérie en 1952 pour se rendre compte de la misère locale et en faire des reportages peints. Avec encore et toujours, des témoignages des luttes ouvrières, des grèves, des émeutes, des manifestations et des blocus, comme celui à Marseille contre la livraison d’armes destinées à l’Asie lors de la décolonisation violente de l’Indochine, etc. Tous ces reportages peints et imagés sont souvent en grand format. Son pinceau sera parfois plus léger avec les représentations des ouvriers, du prolétariat, de la beauté du travail et de la camaraderie…
L’expo intitulée « L’Art en prise avec son temps » présente une cinquantaine de peintures et de très nombreux dessins ainsi qu’une tapisserie. Ce tour d’horizon nous livre quelques-unes de ses compositions majeures consacrées aux causes politiques de sa génération mais également quelques portraits et autoportraits (une démarche réalisée tout au long de sa vie), avec la présence de rares paysages et de natures mortes.
L’expo qui se concentre sur les années 1930 à 1970 présente les fameux 200 dessins réalisés à Buchenwald (de 1944 à la libération) avec les quelques grandes toiles également inspirées par les épreuves de la seconde guerre mondiale (La Pesée à Riom ; le Petit camp de Buchenwald ; la Mort de Danielle Casanova...)
On y admire également le prolétariat et le travail industriel, les luttes syndicales (autour du célèbre portrait de groupe « Les Délégués »), la décolonisation du Vietnam en 1951 (La Riposte) ou encore la série de 63 dessins à l’encre qui relatent les banlieues populaires du nord-est parisien de 1965 à 1972.
A l’instar de la colombe de la paix parfois cachée dans ses toiles ; d’un horizon lointain et coloré d’azur ou de lumière comme une lueur d’espoir ; de ces mains des hommes et des femmes qui s’entraident sur certaines de ses toiles ou encore de ces regards brillants d’entraide et de compassion… voilà un peu de fraternité, d’humanité, d’entraide et de solidarité qui s’allument. Comme une lueur d’espoir venue du fond de l’enfer.
Peut-être l’utopie d’un monde meilleur.



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